Publiée le par Sophie PUYFAGES
En cette fin de mois d'août, Fred s'est lancé sur le parcours des crêtes de l'Echappée Belle soit 63km et 4800D+ sur un terrain.....disons technique😉
Mon Echappée Belle sur le Parcours des Crêtes
Il est environ 2h30 du matin, un coureur apparemment pressé d’en terminer m’informe qu’il nous reste environ 300m de dénivelé à descendre. J’ai déjà grimpé un bon Mont-Blanc depuis ce matin, dans des paysages magnifiques et dans des conditions absolument parfaite de température. Mais la il fait nuit et mes jambes ne veulent plus courir. Mes genoux, mes tendons d’achilles, mes cuisses en ont décidé autrement. Et ma tête, elle est n’a pas la force de leur demander plus qu’une marche rapide. En fait elle est déçue car à peine 2 heures plus tôt elle pensait avoir trouvé la clé. La clé de cette énigme que je tente de résoudre depuis des années, la clé qui me permettrait de terminer une belle course en courant, sans ces aiguilles qui se plantent dans les genoux pour me réprimander de trop de dénivelé.
Cette course, cela fait longtemps qu’elle me titillait. Les cailloux, les sentiers techniques, les paysages grandioses et ce nom “Echappée Belle” qui est devenu mythique tellement il représente le condensé de ce que j’aime dans le trail. Mais cette année, je me sens bien physiquement. Mes mollets semblent vouloir me laisser tranquille, j’arrive à faire de bonnes séances au stade le mardi ou à Carrière le jeudi. La Maxicross 30 s’est bien passée et la confiance revient. Et 27h pour faire les 63km 4800d+ c’est pratiquement comme si il n’y avait pas de barrière horaire. Ça tombe bien, je n’ai jamais été très rapide et on peut pas dire que ça s’améliore avec les années donc autant avoir un peu de temps devant moi.
Le plan c’est donc d’arriver à augmenter le volume de course, de croiser avec le vélo en allant au boulot, la natation parce que ça me permet de travailler sans me faire mal, et d’être régulier sur la ppg. Un petit swimrun vient se placer en mai(6h donc 3 dans l’eau), le défi du donjon (1km avec un escalier bien raide en alternance avec mon duo pendant 6h) et quelques sorties longues avec le groupe trail. On est pas si mal fin mai, mais mes tendons d'achilles commencent à couiner et je suis obligé de diminuer un peu le rythme en juin. J’arrive à garder quelques séances “trail” dans les escaliers de St Cucufa pour protéger mes tendons, mais pas beaucoup plus.
La préparation spécifique commence par 15 jours à Madère, île de randonnée et de trail. C’est aussi l'île du MIUT (Madeira Island Ultra Trail) qui a une belle notoriété en Europe. J’alterne les sorties trail en solo et les randonnées en famille. C’est l’occasion de faire du volume, du dénivelé et de longues descentes pour préparer mes jambes à ce qui les attend fin août. Prêt de 8000m de d+ et 150km, je suis content mais je sais que ça ne sera pas suffisant.
Je pensais donc me faire une petite semaine solo aux 2 alpes à enchaîner un maximum de parcours trails. Mais je me tourne finalement sur le format stage de trail en Belledonne en me disant que ça sera plus spécifique et que cela m’évitera de me retrouver tout seul. Je suis refusé d’un premier stage de 3 jours en raison d’un index UTMB trop faible. Je trouve finalement un stage de 2 jours de reconnaissance du Parcours des Crêtes pour lequel les exigences de niveau UTMB sont moins fortes.
Direction Alevard donc avec un peu d'appréhension sur ma capacité à suivre un groupe peut-être plus rapide que moi. Finalement ce sujet est vite réglé … je suis le seul stagiaire ! Mais j’ai en face de moi un coach enthousiaste qui me rassure très rapidement et qui jouera le jeu jusqu’au bout comme s’il avait un groupe complet avec lui.
Laurent Doussot est devenu accompagnateur en montagne et coach trail par passion après avoir passé 15 ans dans le milieu bancaire. Il est très impliqué localement avec la volonté d’ouvrir un monde - parfois refermé sur lui-même - au plus grand nombre. Il sait parler aux gens de la ville, aux gens de la capitale, aux passionnés et à ceux qui ont besoin d’être convertis, aux jeunes qu’il encadre et aux moins jeunes qu’il accompagne régulièrement. Et quand il passe 2 jours avec 1 seul stagiaire pour gagner des clopinettes, pas de frustration mais une volonté intacte de partager et de transmettre.
Donc plein de bons conseils et d’échanges super intéressants en plus des 53km et plus de 5000m de d- sur les 2 jours. Et une bonne idée du chantier qui m’attend, des difficultés, de la technicité du parcours. J’ai maintenant de quoi me faire un vrai plan de course. Chaque montée, chaque point d’eau et chaque ravitaillement, dénivelé, temps estimé, nutrition et autres points d’attention sur un tableau Excel.
Au final, je prévois un temps de course de 18h30, ce qui me ferait arriver à 3h30 du matin avec un départ à 9h. Je garde néanmoins l’objectif de faire moins de 18h et je me dis qu' au delà de 20h c’est que j’aurais vraiment été dans le dur. Et autant sur certaines courses je sais que le niveau est élevé et les barrières horaires difficiles à passer. Mais sur cette course je m’attends à ce que le niveau soit malgré tout un peu moins relevé et j’espère avoir un peu de monde derrière moi quand j’en serais arrivé au bout.
Ce genre de course est avant tout une aventure avec moi même au milieu d’une nature grandiose. C’est aussi une recherche de performance dont un des marqueurs est effectivement le fait d’aller au bout de ce défi en terminant le mieux possible. Un autre est d’avoir le plus de monde possible derrière moi à l’arrivée.
Allevard - 466m d’altitude - 9h - 3eme et dernière vague (sans doute les moins rapides)
Quand je me retrouve sur la ligne de départ samedi 23 août, j’ai donc une bonne idée de ce qui m’attend. Je m'apprête à me lancer sur ma plus grosse course ever et je suis plutôt serein. Le temps est parfait donc je ne suis inquiet ni d’avoir froid ni de manquer d’eau. Mes seuls points d’attentions concernent la capacité de mes genoux à encaisser le dénivelé négatif et de mes tendons d'achille à résister à l’accumulation des montées. Mais pour ces 2 points j’ai un plan d’action précis.
Gestion, gestion, gestion ! En montée, en descente, surtout ne pas m’emballer, toujours garder un contrôle stricte de l’intensité et de la vitesse. Ne pas tirer trop sur le cardio, ne pas taper trop sur les cuissots ! Et comme je connais déjà l’essentiel du parcours je sais à quels moments je dois faire attention.
J’ai pris aussi ma genouillère de protection du TFL (anti syndrome de l’essui glace). Mon genou droit est plus sensible, il s’est fait signaler lors de la reconnaissance, c’est donc pour ce dernier que je suis prêt à alourdir mon sac de quelques grammes supplémentaires.
Et j’ai une petite boite avec 2 cachets de Doliprane … Ce n’est pas une habitude pour moi de recourir à ce type de médication, mais il semble qu’il n’y ait pas de contre-indication et que cela puisse me soulager favorablement sur mes 2 sujets d’inquiétude. Je garde à l’esprit qu’il ne faut pas les prendre de manière rapprochée, surtout en cas d’une déshydratation importante qui peut affaiblir la capacité du corps à éliminer ce genre de composé.
Sur la ligne de départ, je discute un peu avec un autre coureur qui était à côté de moi dans la navette qui nous a amenés à Alevard. C’est un habitué du parcours, il pense le faire en une vingtaine d’heure. Vu son gabarit (très costaud) je me dis que si il met 20 heures je devrais pouvoir tenir les 18. Mais lui il a fait la “Diag”(*), il a donc sans doute une capacité à tenir sur la longueur qui n’est pas comparable à la mienne. Néanmoins, je suis rassuré rapidement quand je constate que ma vitesse d'ascension est nettement supérieure à la sienne. Et je ne le reverrai effectivement plus par la suite.
Je règle aussi ma montre sur le parcours de la course. Cela m’aidera pour suivre mon avancée et cela me permet aussi d’activer la fonction “Live track” pour partager mon évolution auprès de ma famille, de mes 2 coachs (Laurent et Nicolas) et de mon pote trailer Nicolas. J’ai prévu aussi de partager mon avancée avec des messages audios sur whatsapp en espérant que tout ça puisse passer quand je serais au milieu des montagnes, loin de la civilisation.
Donc hormis un mini tour dans la ville, la première partie consiste en une montée de 1200m de d+ jusqu’au Super Collet et le 1er ravitaillement. C’est un peu le problème des courses qui démarrent dans la vallée, il faut beaucoup grimper sur des chemins pas toujours très intéressant avant de sortir de la forêt et de commencer à voir du paysage. On n’avait fait que les 200 derniers mètres à partir du Collet d’Allevard lors de la reco. Il s’agit d’une petite station de ski qui survit encore, mais pour combien de temps …
Je monte en gestion, je me sens bien, la section passe vite.
Super Collet - 1203m d+ - 8,6 km - 427eme - 1h54/2h05 (je ressors du ravito avec environ 10 minutes d’avance sur mon plan).
Les messages d’encouragement s’affichent avec une grande régularité sur ma montre. Je n’en ai pas encore réellement besoin mais je suis heureux de constater à quel point ma famille est derrière moi à me soutenir dans mon nouveau défi.
Encore 400m de d+ avant d’arriver au premier sommet en haut de la crête des Plagnes à 2000m d’altitude. On est maintenant avec les coureurs de 2 autres courses. L’Intégrale de l’Echappée Belle et ses 150km, partie le vendredi à 5h du matin de Vizille. Et la Traversée Nord de 96km partie d’Allevard 9h avant moi mais dont les coureurs ont déjà 46km dans les jambes et 4300m de d+ avant d’arriver ici. Mais pour tous, s' ils sont déjà là c'est qu’ils avancent plutôt bien et vont généralement un peu plus vite que nous malgré notre fraîcheur.
Le paysage commence à être intéressant. J’apperçois même subrepticement le Mont Blanc avant qu’il ne disparaisse derrière un nuage. Les montagnes restent néanmoins bien dégagées et les nuages sont généralement en dessous des sommets. Je suis heureux d’arriver enfin au bout de cette première difficulté et de pouvoir m'amuser un peu dans les 700 m d’une descente plutôt technique mais avec des pourcentages raisonnables.
Je m’en tiens à mon plan, mais comme je l’espérais je suis plutôt dans une zone qui m’est favorable et je dépasse de nombreux concurrents. Et je sais que la technicité du terrain est plutôt une bonne chose pour préserver mes jambes et mes genoux car il est vraiment difficile de prendre de la vitesse.
En bas de la côte des Férices - 16,5 km - 1745 d+ - 777 d- - 3h45 (30’ d’avance sur mon plan)
La montée des Férices est le vrai premier test. 550m de d+ très raide. Mais elle est pas si technique que ça et il y a régulièrement des pierres pour poser les pieds à plat et soulager mollets et tendons d'Achille. Pas trop de dépassements, je monte bien en surveillant mon cardio et je pense à manger un peu. Je ne manque pas d’eau car j’ai pu recharger sur une petite source en bas de la côte. Le temps se dégage et je sors mes lunettes de soleil.
On arrive dans des paysages beaucoup plus bruts. Un joli petit ruisseau dévale près du chemin et nous accompagne dans la montée, parfois dans une magnifique cascade. Mais les zones de moraines (Blocs et débris rocheux amassés par d’anciens glaciers) font leur apparition et montrent un paysage à la fois hostile et attirant.
Refuge des Férices - 18,4 km - 2209 m d+ - 4h35 (40’ d’avance)
Le refuge de Férice nous permet de refaire le plein d’eau. Je remplis ma troisième flasque par précaution et je grignote quelques amandes qui sont proposées. Mais pour l'alimentation, je suis obligé de compter sur mes propres réserves. Je continue d’alterner entre gels et compotes.
J’envoie mon deuxième message audio sur le groupe Whatsapp familiale même si je n’ai pas grand chose à dire pour le moment. Les messages continuent d’arriver, mais ce sont les derniers avant un bon bout de temps.
Après un petit replat, c’est bien le sens de la montée que l’on reprend. Et on entre par la même occasion dans la zone de difficulté “noire” du parcours, mais malheureusement bien blanche question télécommunication. Le chemin zigzague entre les cailloux et la pente est très très raide. Un second col nous ouvre sur une nouvelle zone du massif. Mais les moraines sont toujours là, le paysage de plus en plus rude. Et on continue de monter, jamais en douceur. 460m de d+ supplémentaire pour arriver au col d’Arpingon.
Col d’Arpingon - 21,3 km - 2669 d+ - 875 d- - 5h51 - 388eme
De l’autre côté du col, le paysage est encore plus sauvage et éloigné de la civilisation. On s’arrête quelques secondes pour profiter du spectacle et pour récupérer un peu. Une descente très technique mais pas très pentue nous permet de récupérer un peu. On arrive alors à l’embranchement qui nous sépare pour une longue boucle des 2 autres courses. Alors qu’ils descendent tranquillement vers un ravitaillement, nous reprenons l’ascension pour aller au Col de la Frêche pour une petite boucle en Maurienne que nous sommes les seuls à faire. On les retrouvera bien plus tard à la nuit tombée. Ceux qui étaient avec nous auront alors plusieurs heures d'avance.
C’est dans cette zone, que je me suis rendu compte que mes lunettes n’étaient plus là où elles devaient être. Je savais qu’elles n’étaient pas bien rangées, que je ne les avais pas bien positionnées dans l’emplacement que je leur avais réservé. Je suis énervé sur le coup mais je me remet rapidement dans le droit chemin. Je préviendrais au prochain ravitaillement, sans doute quelqu’un les aura trouvés. Et finalement ce n’est qu’une péripétie et à moi de m’y adapter.
Col de la Frêche - 22,2km - 2715 d+ - 1014 d- - 6h15 (30’ d’avance)
Après le col on bascule côté Mauriennais du massif. On est plutôt sur une portion descendante mais les kilomètres n’avancent pas tant que ça car on reste au milieu des cailloux sur des chemins toujours très techniques. J’en profite d’ailleurs pour faire une jolie pirouette dans les buissons de myrtilles. Un bâton bloqué entre 2 cailloux, une racine qui me retient le pied, le bâton qui se libère brusquement et moi qui bascule en avant dans une figure acrobatique de toute beauté. Heureusement, point de rocher pour me réceptionner, mais un joli matelas de myrtilliers.
Et on a aussi droit à quelques bons “coup de cul” pour passer le col des Forts et le col de Pré Rémy. Toujours une satisfaction de basculer sur un col ou un sommet. Les paysages sont toujours aussi beaux, mais pour le coup on ne peut pas dire qu’ils soient très originaux. Des moraines, des cailloux. Des cailloux et des moraines.
En tous cas je commence à sentir la fatigue arriver. Je ne suis pas forcément le seul mais je commence à me retrouver isolé. Je n’ai plus de messages qui arrivent sur ma montre et je me doute que le réseau a bien du mal à passer ici, dans cet environnement si hostile et si éloigné de toute civilisation. Pourtant ils m’auraient fait du bien. Surtout en sachant ce qui m’attend après cette soit disant descente qui passe son temps à monter.
Plan du Lai - 26,8 km - 2889 d+ - 1607 d- - 7h20 (40’ d’avance)
Le plan du Lai est une petite zone bucolique, avec de l’herbe, de la végétation. C’est doux et accueillant. Quelques bidons d’eau mis en réserve quelques semaines auparavant par l’organisation, avant que le petit cours d’eau ne s'assèche, me permet de refaire le plein de mes flasques.
Je signale la perte de mes lunettes et on me rassure immédiatement, elles ont été retrouvées.
Je suis rassuré. Mais en repartant, les choses se gâtent très vite. Un jeune, dépité, est en train de vomir le peu de nourriture qu’il a ingurgité. Il me dit qu’il ne comprend pas, ses jambes sont en pleine forme et ne demandent qu’à galoper, mais son ventre ne veux plus rien absorber. Je n’ai jamais rencontré ce genre de problème, sans doute mon corps estime que la fonction digestive est trop importante pour être négligée au profit du reste. C’est peut-être pour ça que je ne vais pas très vite ?
Et le chemin devient raide. Je me revois lors de la reconnaissance du parcours, arrêté sous un arbre en espérant que l’averse passe rapidement. Finalement on était reparti sous la pluie pour ne pas trop se refroidir. Mais le mal était fait et le reste de la montée fut pénible et froid.
Mais la, pas besoin de gant ou de veste de pluie, juste besoin d’un peu de jus dans les jambes. Et malheureusement il n’y en a plus.
En fait, je suis tellement dans le dur que les seuls qui ne me dépassent pas sont ceux qui sont complètement à l’arrêt. Comme ce jeune homme, sans doute un poil moins jeune que moi, mais affuté comme une lame. Il a vraiment l’air très mal et reste allongé sur un rocher. Je suspecterais d’ailleurs un peu plus tard qu’il ait été rapatrié en hélicoptère.
Et moi je finis par me faire une pause. Je n’ai toujours pas de réseau mais je me décide néanmoins à faire un petit message vocal car j’ai besoin de soutien. Je n’ai toujours aucun message alors que c’est exactement le moment où j’en aurais vraiment besoin. Je mange un peu, mais sans doute pas assez. Et je me couvre car mine de rien le soleil est de moins en moins présent derrière les montagnes et le vent souffle un peu plus fort par ici.
Je repars finalement en me disant que tant que j’arriverais à mettre un pied devant l’autre, je me rapprocherais du haut de cette montagne. Et c’est finalement ce qui se passe. La fin est un peu moins raide car on passe par un petit passage en crête avant quelques mètres d’escalade pour grimper sur le point haut du jour. La pointe Rognier à 2332 m et sa grande croix qui domine les environs. J’arrive à la prendre en photo juste avant qu’un nuage ne la submerge de nouveau. Tant d’efforts et à peine quelques secondes pour contempler ce sommet qui ne fait que se cacher.
Point Rognier - 29,7 km - 3482 d+ - 1616 d- - 8h20 (10’ d’avance)
Je prends le temps de profiter du paysage qui s’est de nouveau dégagé. Lors de mon précédent passage j’étais dans une brouillasse qui me permettait à peine de voir le bout de mes pieds.
La bonne nouvelle c’est que j’ai maintenant fait les ¾ du dénivelé positif. Par contre côté descente j’ai encore pratiquement tout à faire. A commencer par ces 1000 m de d- qui m’attendent pour atteindre le prochain ravitaillement.
Je commence la descente en compagnie de coureurs qui n’étaient sans doute pas beaucoup plus fringants que moi dans la montée. Mais rapidement je les distance dans ce terrain qui demande un pied plutôt agile. Cependant je m’arrête rapidement en me disant que c’est sans doute le moment de prendre un petit Doliprane. Je ne le prends pas pour atténuer des douleurs qui me feraient trop souffrir. Je le prends en me disant qu’il est sans doute préférable d’avoir un temps d’avance sur elles. Et vu mon état de fraîcheur, je crains qu’elles n’arrivent plus vite que prévu.
Je reprends ensuite mon petit bonhomme de chemin avec à l’esprit une attention particulière et prioritaire à me protéger. Interdiction de s’emballer ou de chercher à rattraper du temps. Mais je regarde ma montre aussi car je sais que mon plan prévoit une arrivée au ravitaillement de Fontaine Noire vers 20h. Mon objectif est de profiter du coucher de soleil, mais cela ne sera possible que si je peux accéder à l’autre côté de la montagne, nous sommes actuellement sur un versant orienté plein est.
Et tout se passe bien. Une première moitiée dans les cailloux ne me dépayse pas. La deuxième dans les sous-bois, bien que pas particulièrement roulante, est un délice. Et ce n’est pas une seconde chute sur un pierre vicieuse cachée sous une couche de poussière qui m’empêche d’en profiter pleinement. Sentir la terre délicate, l’odeur des arbres est un vrai plaisir. Et les kilomètres défilent un peu plus vite.
Une concurrente qui m’accompagne sur cette partie, bien que souffrant déjà des genoux, est pressée de retrouver sa famille qui l’attend au ravitaillement. Ils feront même quelque centaines de mètres avec elle sur la fin de la descente. Je l’envie. Ça doit être vraiment un instant de bonheur pour elle après la rudesse de ce qu’on vient d’affronter. Et avant tout le chemin qu’il nous reste à parcourir dans la nuit qui s’annonce.
Fontaine Noire - 34,9 km - 418eme - 3540 d+ - 2552 d- - 10h42 (18 minutes d’avance)
Cela fait presque 9h que j’ai quitté le ravitaillement précédent. Autant vous dire que je l’attendais de pied ferme. Les compotes et les gels, c’est quand même pas ce qu’il y a de plus appétissant.
Je me jette sur les melons, les nectarines, les pommes, les abricots secs et les noix de cajou. Et quand je vois la soupe, je sais que c’est ça qu’il me faut. Une soupe de légumes bien épicée et des nouilles chinoises qui cuisent quelques minutes dans le bol le temps que ça refroidisse, mais qui restent croustillantes malgré tout. Mon estomac, ma tête et je pense mon corps entier me réclament un second bol. Je vais le chercher et je me prépare pour la nuit pendant qu’il refroidit et que les pâtes cuisent.
Mon équipement c’est tout d’abord, enfiler ma genouillère. Ma jambe droite est plus faible, c’est toujours elle qui cède la première. Je m’efforce donc de la protéger.
Et évidemment mes frontales. La principale sur le front. Mais comme je ne sais pas si elle pourra tenir la nuit, j’en enfile une seconde qui se porte sur la poitrine. Je croise les doigts pour ne pas avoir à l’utiliser car il s’agit avant tout d’une lumière pour être vu, pas forcément pour savoir où on pose les pieds en pleine nuit au milieu de la forêt.
J’attrape encore quelques petites douceurs bien caloriques avant de partir et je m’élance dans ce que je pense être la dernière difficulté de la course. Il est 20h et l’obscurité est déjà bien présente. Mes lunettes de soleil, bien que légèrement correctrices, ne me sont plus d’aucune aide et je les range dans un endroit sûr. Mes espoirs d’atteindre la haut de cette nouvelle bosse avant la tombée de la nuit s'amenuisent considérablement. Néanmoins, je sens dès le départ le retour d’une énergie qui avait disparue depuis des heures.
Cette nouvelle montée qui se dresse devant mois pour 600m de dénivelé, m’avait bien fait souffrir lors de la reconnaissance. Mais là je l’aborde comme je l’aurais abordée ce matin si le départ avait été donné ici. Peut-être même plus fort car je sais maintenant que ma modération doit avant tout être tournée sur les descentes qui vont suivre. Je n’ai plus réellement de raison de m’économiser sur les montées.
Et c’est un parcours un peu différent de ce que j’ai pu affronter jusqu’à présent qui s’offre à moi. Cela commence par un chemin verdoyant qui longe un rivière et dont la faible pente permet d’avancer d’un bon pas. Je me retrouve seul au milieu de la forêt, personne devant, personne derrière. Et ce n’est qu’au moment de remonter un champ de pierres et d’affronter des pourcentages plus importants que j’entrevois un autre concurrent quelques dizaines de mètres devant moi. Cette partie n’est pas simple dans l’obscurité de plus en plus prégnante et sans mes lunettes de vue. Je vois néanmoins que je suis plus rapide que lui, cela me change de la montée précédente.
La suite de la montée se passe sur un chemin herbeux qui remonte sans se poser de question en direction du sommet. Ce n’est pas le genre de montée que je préfère car cela m’oblige à rester sur la pointe des pieds. Mais mon énergie ne faiblit pas et j’arrive bientôt en haut, au niveau du Col de la Perche.
Cold de la Perche - 37,4 km - 4066 d+ - 2552 d- - 12h05 (25 minutes d’avance)
Ce col nous permet de revenir sur le versant Isérois de la chaîne de Belledonne. Il est aussi le point de ralliement avec les 2 autres grands parcours. On va retrouver un peu plus de monde sur les chemins.
Bien que la nuit soit vraiment installée, je peux encore profiter quelques minutes du ciel rougeoyant devant moi. Et on me dit que la Mont Blanc daigne enfin se laisser voir dans mon dos. Mais sans lunette … le noir complet. Miraculeusement, avec mon téléphone j’arrive à entrevoir son sommet rond et blanc.
Avant d’arriver au sommet du Grand Chat, un chemin terreux en pente douce nous permet d’avancer à un rythme très agréable vers un plateau herbeux. Des feux de camp allumés par des bénévoles brillent et dégagent une odeur agréable. La musique et les cris de joie donnent un air de fête. Le tintement des cloches accompagnent les yeux lumineux des vaches dont on devine le regard éberlué.
Mais la fête c’est aussi mes jambes qui avancent comme jamais, ces concurrents que je remonte à la pelle jusqu’au sommet du Grand Chat.
Sommet du Grand Chat - 39,7 km - 4193 d+ - 2671 d- - 12h28 ( 22 minutes d’avance)
Le sommet je le passe sans m’en rendre compte. La nuit est totale et le sommet est quasiment plat. Plus aucune trace de lumière à l’horizon, seules les lumières de la civilisation revenue, 1200m plus bas sont visibles.
Cette crête est très roulante et la pente s’accentue progressivement jusqu’au Col de Champet. C’est à ce moment que mon genou droit avait mis le clignotant lors de ma reconnaissance. Je descends donc avec une infinie précaution cette première partie, quitte à me faire de nouveau dépasser. On est à un endroit charnière pour moi, l’issue des quelques kilomètres qui se présentent à moi et déterminante.
La suite de la descente est moins piégeuse. C’est roulant mais pas trop raide, les genoux tapent moins et je trouve mon rythme de croisière. Ce rythme, bien que modeste, peux de concurrents sont désormais capables de le tenir autour de moi. C’est pour moi un très grand bonheur et une énorme satisfaction. Je me suis tellement retrouvé dans la situation inverse à voir les autres concurrents défiler devant moi, je ne boude pas mon plaisir. En arrivant tout en bas, sur une portion de route en légère descente, ma foulée s’allonge naturellement. Je suis euphorique.
Le Bourget-en-Huile - 46,7 km - 385 eme - 4199 d+ - 2940 d- - 11h45 (45 minutes d’avance)
J’arrive à ce dernier ravitaillement au bout de presque 15h d’effort, et j’ai l’impression de ne pas ressentir de fatigue. Je mange un grand bol de soupe, les premières m’ont fait tellement de bien que je récidive. Je grignote vite fait et je repars et marchant, le téléphone à la main pour donner des nouvelles. Déjà dans la descente ma montre s’est remise à sonner, signe que mes suiveurs pouvaient enfin constater ma progression et reprendre les messages d’encouragement.
Je m’empresse de leur envoyer un message enflammé pour les informer de l’optimisme actuel dans lequel je me trouve. Dans les faits, ils reçoivent ce message à peine quelques instants après avoir enfin reçu celui envoyé quelques heures plus tôt en train de galérer dans la montée de la pointe Rognier. Apparemment cela les a laissés dubitatifs.
Cela me fait du bien et mon optimisme continue de monter en flèche. Mes jambes n’attendent que de courir et les 3 kilomètres qui arrivent leur permettent de s’en donner à coeur joie. Je me retrouve même en train de courir dans un faux plat montant, ce que personne d’autre ne pouvait faire autour de moi.
Il est pas encore minuit et je me dis qu’à ce rythme je vais arriver avant 2h du matin. Je me vois déjà en train de voler dans la descente finale, acclamé par la foule ébahie par ma performance. J’écarte d’un croisement de doigts la petite voie qui me dit que si ça se trouve, dans 1 heure je serais au bout de ma vie en train de ramper pour essayer d’avancer.
La pente commence enfin à s’accentuer. Je suis pressé d’affronter ces 450 m de d+ qu’il nous restent pour pouvoir ensuite voler vers la ligne d’arrivée.
Mon optimisme est calmé brutalement quelques mètres plus loin. Un mur se dresse devant moi et mes premiers pas pour l’affronter m’indiquent que la lutte va encore être ardue.
En fait, l'euphorie disparaît quasi instantanément. Chaque pas est une guerre et apparemment certains sont mieux armés pour l’affronter. Les frontales qui arrivent derrière moi ne le restent pas longtemps, ma vitesse de progression est affligeante. Les douleurs aux tendons se font de nouveau sentir, mes bras n’ont plus de force et mes poignets sont douloureux. Je n’ai plus envie de relancer dans les rares portions plates, mes muscles sont raides et mes jambes ont perdu toute envie de galoper. Sur le haut, un long plateau entrecoupé de quelques nouvelles montées toujours aussi raides finissent de m’achever.
Mon genou gauche, celui pour lequel j’avais confiance au point de ne pas lui prendre de genouillère, me trahit avant même de commencer la descente. Et je comprends rapidement qu’il va être difficile de continuer autrement qu’en marchant.
Les frontales continuent de me dépasser à toute vitesse.J’ai l’impression que tout le monde est en train de me rattraper et d’être le seul à ne plus courir. Pourtant tout à l’heure c’était l’inverse, j’avais l’impression que tout le monde marchait. Peut-être qu’il y en a 5 qui marchent quand 1 me dépasse en courant. Mais moi je ne vois que celui-la.
Et je regarde l’heure avec inquiétude. Ma cible c’est 3h, 18h de course, je n’y renonce pas mais j’y crois de moins en moins.
Le moral est touché.
On arrive finalement sur une route, on passe devant une église. Ca c’est bon signe, mais je sais qu’il reste encore quelques kilomètres à parcourir. La route descend à peine et on est encore assez haut. J’ai du mal à savoir ce qu’il nous reste exactement sur ma montre, et je n’arrive pas à estimer la hauteur par rapport à la route nationale que l’on peut deviner en contrebas. Je demande aux concurrents qui me rattrapent. Il y en a un qui me répond “Il reste 300m, mais c’est pas avec cette pente qu’on va réussir à les faire”. Il en avait apparemment plein les bottes ou courrait après son chrono lui aussi, mais avec plus de détermination ou de jambes que moi.
On quitte finalement la route pour couper par des petits chemins qui ont l’avantage d’être beaucoup plus raides mais qui ont l'inconvénient d’être beaucoup plus douloureux pour mes jambes aussi. Ça passe néanmoins sans trop souffrir et on retrouve la route rapidement. Mais contrairement à précédemment, la nationale est maintenant au même niveau que nous. Je n’arrive même pas à me réjouir, je me dis qu’il reste certainement encore une longue distance avant d’arriver. Mais non, quelques minutes plus tard j’ai bien l’impression de rentrer dans la ville. J’essaye de me motiver pour reprendre la course, mais j’attends de vraiment être sûr que l’arrivée est proche. Quand je passe devant le parking où j’ai garé ma voiture quelques heures plus tôt, je n’ai plus le choix, je suis obligé de courir. Et je me lance finalement beaucoup plus facilement que je l’imaginais pour terminer d’une foulée qui reste malgré tout timide. Je traverse la rue principale où des bénévoles font la circulation malgré l’heure tardive, le parking du gymnase où nous attendait la navette pour Allevard. Quelques bravos et encouragement de concurrents arrivés avant nous et qui retournent à leur voiture d’un pas chancelant. Et enfin le parc, l’arche de l’arrivée, la lumière et la cloche. La cloche qui permet à tous ceux qui ont remporté leur défi d’exprimer leur joie d’en avoir fini, de crier à tous le monde qu’ils sont “finisher” de l’Echappée Belle ! Le match est terminé et la victoire est pour eux et elle l’est maintenant aussi pour moi.
Une petite photo souvenir avec la cloche. Même pas une petite larme comme il m’arrive souvent de le faire. Je n’ai pas eu besoin de chercher au plus profond de moi même pour affronter les difficultés pourtant grandes de ce parcours. Pas besoin de lutter dans la douleur pour résister aux barrières horaires, pas besoin de me battre contre le froid et la pluie pour en arriver au bout.
Finalement le plus difficile c’était peut-être ce qui m'attendait après la ligne d’arrivée. Le corps à l’arrêt qui se refroidit, se grippe en quelques minutes, comme si la rouille envahissait l’ensemble des articulations de ce corps éreinté.
Je mange dans le froid sans trouver quelqu'un avec qui partager ma fierté et mes difficultés. Le retour à la voiture me prend un temps infini. J’ai plus de mal à avancer maintenant que dans les côtes les plus raides de Belledonne. Je me change, je retourne au camping où ma petite tente m’attend. Mais pas possible de rentrer avec la voiture au beau milieu de la nuit. Je n’ai pas le courage d’en faire plus et je m’installe pour quelques heures de sommeil inconfortable et parsemé de crampes, mais au chaud dans la voiture, jusqu'à 8 heures. Je gratte 1 heure supplémentaire dans la tente après une bonne douche. Ce n’est pas suffisant mais il faut que je récupère mes lunettes. Donc direction Aiguebelle, ce qui me donnera l’occasion de voir le dernier finisher de l’intégrale arriver et les différents podium.
Le 1er du parcours des crêtes est arrivé en 8h08 … cela me semble irréel. C’est sans doute à cause de lui que ma côte UTMB sur la course sera une de mes plus basses bien que j’ai encore beaucoup de monde derrière moi.
Si je prends un peu de recul, quel est le bilan de ma course ?
Malgré la déception de ne pas avoir pu faire la dernière descente en courant, je suis malgré tout satisfait de ma course. Mon entraînement n’était pas optimal mais le dénivelé fait à Madère et lors de la reconnaissance m’ont permis d’absorber sans encombre la majeure partie de ce parcours.
Je n’ai sans doute pas très bien géré mon alimentation sur la très longue section sans ravitaillement. Je pensais faire ce qu’il faut mais j’ai clairement constaté une baisse progressive de mon énergie que les quelques gels ne suffisaient pas à remonter. Par contre arrivé au ravitaillement, j’ai pu absorber une grande quantité d’aliments sans problème de digestion mais avec une remontée en flèche de mon niveau d’énergie.
J’ai pu mesurer aussi l’effet très bénéfique de la prise d’un cachet de Doliprane. Il est sans doute lui aussi un artisan essentiel de ma période d’euphorie. Et j’ai ensuite clairement senti le retour des douleurs une fois son effet terminé. Et pour rappel, en course, “pas de pipi … pas de Doliprane”. Et je n’ai effectivement pas eu de problème de ce côté là, même sur la fin donc je n’étais pas inquiet.
C’était ma plus grosse course en terme de dénivelé. J’en ai déjà fait 2 autres de plus de 60 km mais jamais avec un tel dénivelé. Elle restera malgré tout moins difficile que le trail du petit saint Bernard qui nous fait passer pratiquement toute la journée au-dessus de 2000m, dans le froid et avec une longue section sans eau. Et l'arrivée de nuit sous la pluie gelée est de loin le moment qui m’aura poussé le plus loin à me transcender.
Et effectivement les barrières horaires très larges sont confortables … mais du coup pas besoin de se dépasser autant dans l’effort pour éviter qu’elles nous rattrapent.
Au niveau des paysages, rien à dire, c’était magnifique. Mais j’ai préféré le Petit St Bernard qui nous transporte sur la lune à certains endroits et le TAR que j’ai trouvé encore plus sauvage et avec aussi quelques points de vues sur le mont blanc absolument grandioses.
Un point où il a dépassé tous les autres c’est évidemment la technicité. Et cela m’a d’ailleurs confirmé dans le plaisir que j’ai à parcourir de tels sentiers. Et aussi sur le fait que c’est plutôt un de mes points forts.
Et puis j’avoue que même si je n'ai pas assez mangé en milieu de journée, je pense avoir particulièrement bien géré ma course. Reconnaître le parcours fut clairement très bénéfique. Avoir en tête toutes les sections, la pente, la technicité, les petites bosses qui ne sont pas visibles sur le plan mais qui font très mal mentalement. Je ne sais pas si j’aurais l’occasion de le refaire, mais c’est un vrai plus. Encore merci Laurent.
Ce que je referais et qui me semble indispensable pour faire des courses en montagne dans de bonnes conditions, ce sont les “Stage Trail”. Il y a le plaisir de crapahuter en montagne et d’en profiter sans doute plus sereinement qu’en course. Mais il y a surtout habituer le corps à ce genre d’effort, ce genre de dénivelé. On pourra faire ce qu’on veut, mais c’est pas avec une côte de 60m de dénivelé qu’on va se préparer à monter ou descendre ce qui nous attend.
Autre constat, faire une course en solo, ça permet de choisir les courses qui nous attirent. Mais c’est quand même pas ce qu’il y a de plus fun. Faire des courses avec le club sera sans doute beaucoup plus convivial.
Mais avant de penser préparation, stage ou course, il va surtout falloir que je soigne mes tendons d’Achille. Jusqu'à maintenant, tous les exercices que je faisais dans ma salle de bain en me lavant les dents n’ont pas permis de régler ce problème. Sans doute qu’un peu de repos et un bon kiné seront plus efficaces.
Retrouver un corps en état de marche sera de toute manière le préalable à tout nouvel objectif.
A suivre donc …
(*) Diagonale des fous … 160km pour 10000m de d+ à la Réunion.
FRED
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